La piste kazakhe - Au coeur de l'Altaï (2017) - Les voyages du Ptit Malet
La piste kazakhe
De l'Altaï au Taklamakan - 2017
Asie
La piste kazakhe
Septembre 2017

Introduction

L'Altaï. Ce territoire à la frontière invisible chevauche quatre pays d'Asie. L'Altaï étend majestueusement ses vallées mordorées, ses lacs, ses cimes aux coupoles enneigées et ses ultimes glaciers dans une symphonie de couleurs, multicolores et infiniment sauvages.
Dans le noyau de l'Asie, au pied de ces montagnes, vivent des Kazakhs, ethnie majoritaire à la langue et à la culture singulière. Un peuple nomade, rude et fier qui rythmera le cours de mon voyage depuis les confins de la taïga sibérienne jusqu'aux dunes du désert de Taklamakan.
Je suivrai donc le fil de la Chuysky Trakt, une route millénaire reconstruite par les prisonniers du goulag et qui transperce l'Altaï russe sur près de 500 km. J'atteindrai les hauts plateaux arides de Mongolie avant de rejoindre les plaines monotones et les déserts somptueux du Xinjiang, cette province située à l'Ouest de la Chine, peuplée d'Ouïghours et ancien carrefour de la route de la Soie.
Un voyage riche et intense, sur les pistes mongoles, sur les traces des Kazakhs.

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Distance
2 340 km
Durée
25 jours
Point culminant
3 090 m
% de pistes
25 %
La carte du voyage
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Russie (Barnaul - Tashanta)

La route de la Soie sibérienne

Après une escale à Moscou – et un rapide aller-retour pour entrevoir les monuments les plus emblématiques de la capitale – l'avion survole les immenses plaines de Sibérie ou s'entremêlent champs et forêts, reliés par les innombrables méandres de l'Ob. C'est justement sur la rive gauche de ce fleuve – l'un des plus importants au monde – que Barnaul paraît se blottir.
Au centre de la Russie, dans le Sud-ouest de la Sibérie, la ville de Barnaul ne m'évoquait rien encore quelques mois avant mon voyage. Pourtant, en cette matinée pluvieuse de septembre, je traverse rapidement les avenues rectilignes de cette ville industrielle de plus de 600 000 habitants pour rejoindre la fameuse Chuysky Trakt.

La route empruntée par une enfilade de véhicules et de camions aussi modernes que soviétiques coupe les forêts et traverse les champs. La pluie est toujours le temps idéal pour des rencontres. Un vieux Kamaz s'arrête. Mikhail et Sergei m'emmènent jusqu'aux portes de Biisk. Construite sur les rives de l'Ob, la ville est la petite sœur de Barnaul. Plus que quelques dizaines de kilomètres et je longerai enfin la Katun, une rivière mythique qui prend sa source aux confins de l'Altaï et qui le transperce de sa couleur turquoise.

Au loin se dessinent les silhouettes des premiers reliefs. L'Altaï, province si mystérieuse, si lointaine de Moscou, est une invitation onirique à l'aventure et à la nature. La route s'enfonce dans les contreforts du massif, au pied de petites montagnes verdoyantes. Elle s'élève progressivement et s'écarte de la rivière Katun le temps de deux cols aux pentes irrégulières.
La route fend la roche et suit le fil de la rivière tumultueuse. Elle seule paraît troubler la quiétude des petits villages atypiques et isolés où se dispersent quelques maisons de bois aux fenêtres colorées. Ici, les cultures russe, kazakhe et altaïenne s'imbriquent. L'orthodoxie, l'islam, le bouddhisme et le chamanisme semblent alors conciliés par des traditions ancestrales animistes. Au sommet d'un col ou à la source d'une rivière, on remercie les esprits en attachant un mince ruban blanc dans les arbres tandis que d'autres préfèreront des donations

J’atteins la confluence entre la Chuya et la Katun, un lieu sacré dans les traditions altaïennes. A quelques pas, un ancien sanctuaire habité depuis l'âge de bronze. Les Scythes qui peuplaient la région y ont ensuite érigés plusieurs pétroglyphes énigmatiques. Ils reflètent l'importance de cette « route de la Soie » sibérienne : une artère millénaire et vitale qui constituait jadis un lieu de passage pour les marchands allant et venant du cœur de la Chine.
Aujourd'hui, les caravanes de mules et de chameaux ont laissé place à quelques camions qui transitent vers la Mongolie chargés d'essence ou de gaz. Mais la beauté sauvage – parfois mystique – de l'Altaï est restée intacte.

De temps à autre, au-dessus des eaux turquoise de la Chuya, une forêt de taïga aux couleurs de l'automne dévoile subtilement des vues sur les cimes enneigées à plus de 4000m. Elles m'offrent alors un paysage fabuleux au million de contrastes sorti tout droit d'un tableau impressionniste.
La route s'élève peu à peu depuis la vallée pour se hisser jusqu'à un plateau d'altitude, sec et aride. C'est ici, que s'étend Koch Agatsh, une petite bourgade du bout du monde peuplée de Kazakhs. Au loin, la neige annonce déjà le début de l’hiver...Et la Mongolie est toute proche.

Mongolie (Bayan-Ölgii - Bulgan)

Les aigliers de l'Altaï

Durant le mois de septembre, les températures baissent rapidement. Les gelées matinales sont fréquentes et le vent se fait plus intense.
Un col à plus de 2600m fait office de frontière avec la Mongolie. L'asphalte a laissé place à la piste. Les premières yourtes apparaissent dans un paysage merveilleusement dénudé aux couleurs chatoyantes.

J'atteins rapidement Ölgii, la plus grande ville cette province peuplée majoritairement de Kazakhs musulmans. Au milieu des montagnes désertiques, Ölgii est une ville bétonnée dont les maisons jouent avec les reliefs et les méandres d'une petite rivière. La ville constitue surtout une étape pour approcher et côtoyer les dresseurs d'aigles : les Burtkitshi.
Dans ces vallées oubliées, la chasse à l’aigle se perpétue de génération en génération et a valu aux Kazakhs la réputation d'être les plus grands aigliers d'Asie. Aujourd’hui, ces dresseurs doivent s’adapter à des mutations sociétales importantes: la chasse à l’aigle ne constitue plus une source de revenus suffisante. Depuis le début des années 2000, pour que la tradition se perpétue, diverses associations ont remis la pratique au goût du jour. L'aigle royal de l'Altaï est célébré à l'occasion de deux festivals annonçant le début de l'hiver (et donc de la période de la chasse). Ces festivités, liées à l’intensification du tourisme, contribuent à consolider la place de ces nomades qui redeviennent alors les plus fiers ambassadeurs de leur minorité.

A 30 kilomètres d'une piste cahotante, au cœur d’une immense vallée multicolore, le village de Sagsai accueille le premier d’entre eux. Le festival réunit une quarantaine d’aigliers pendant deux jours.
Les membres du jury prennent place avec table et chaise au milieu de la steppe. Dans un horizon sans nuage, seul, par deux, trois ou quatre, les chasseurs kazakhs viennent au galop, vêtus de leur plus belle parure. Des Kazakhs qui défilent fièrement, les visages émaciés et marqués par le soleil sous leur bonnet de soie et de fourrure. Sur un bras ganté, ils portent avec autorité leur aigle impérial.

Dans une ambiance enivrante, les épreuves débutent. Les cris des aigles se mêlent au cliquetis des appareils photos des nombreux touristes (près de 200) venu assister à ce spectacle rutilant et décousu. Dans la matinée, les aigles plongent un à un depuis une petite colline sur le bras de leur maître. L'aigle et le dresseur sont alors jugés sur la rapidité à laquelle le mouvement est exécuté.
Dans l’après-midi, on se passionne pour le Buzkashi. Car si les aigles fascinent les touristes, le Buzkashi attire quant à lui de nombreux locaux qui assistent régulièrement à ces tournois rudes et violents durant lesquels les protagonistes doivent ramasser - sans tomber du cheval - et se disputent une carcasse décapitée de bélier.
Dans cette région au parfum d'Asie centrale, loin de tout, hors du temps, je me sens immergé dans un roman de Kessel.

Retour à Olgii. Je m'échappe vers le Sud sur une route asphaltée au milieu de l'Altaï mongol avant de bifurquer sur une piste isolée pendant plusieurs jours. Au milieu d'un désert aride, quelques cimes coiffées d'ultimes glaciers surmontent un grand lac paisible d'un bleu profond. Parfois, quelques yourtes – des gers – forment autant de petits dômes blancs qui parsèment l’immensité, sublimement sauvage. Elles comblent l’absence de tout et offrent au visiteur privilégié un grand sentiment de plénitude. Dans l'après-midi, le soleil redescend dans l'horizon. Les lumières rasent la vallée, embrasent les montagnes et illuminent les yourtes le temps d'un spectacle éphémère. Le soir, depuis l'entrée de ma tente, je contemple le ciel pur et chargé de millions d'étoiles. Elles scintillent et figent ces espaces infinis, éclairent le feutre protecteur des yourtes et découpent les crêtes et les cimes des montagnes.
Les troupeaux de chevaux, de yaks, de chameaux, de chèvres et de moutons s'entremêlent. Les cols se succèdent et forment autant de montagnes russes dans ce désert mongol. La piste est parfois difficile, souvent caillouteuse, rarement sablonneuse. Après un col à 3000m, elle serpente dans une vallée infinie et encaissée qui suit le fil d’une rivière et se dirige au milieu de nulle part. Après plus de 200 km, les montagnes s’éloignent. La vallée s’élargit. Le désert de Gobi approche et le vent soulève des monticules de sable dans un tourbillon de poussière.
Au bout de la piste, Bulgan est l’ultime ville avant d’atteindre la frontière chinoise. L’asphalte est de retour. Et le vent – de face – redouble.

Chine (Taklamakan - Turpan - Urumqi)

Des les déserts du Xinjiang

Au milieu d'un désert de vent et de montagnes arides, d'immenses bâtiments d'un blanc étincelant semblent protégés par une muraille de barrières et de barbelés. Au loin, quelques tours surveillent l'ensemble, imposant et moderne. Le passage de la frontière chinoise offre un contraste saisissant. Mon vélo est scanné, scruté, fouillé au peigne fin. Au nord-ouest de la Chine, la province « autonome » du Xinjiang – dont la superficie est égale à trois fois celle de la France – est la plus grande du pays. Peuplée par des Ouïghours turcophones et musulmans, elle a été à de nombreuses reprise l'objet de tensions entre les différentes communautés. Tensions que les Chinois tentent d'apaiser en multipliant les contrôles, les postes de police et les checkposts, qu'ils soient dans les marchés, à l'entrée des villes ou au milieu du désert.

La longue route monotone et rectiligne traverse une vaste étendue d'une steppe abandonnée. En Chine, de nouvelles routes empruntées par des cortèges de camion émergent aux confins de nulle part tous les six mois et rendent alors les dernières cartes obsolètes.

Le froid a réveillé une ancienne tendinite. Un dernier col permet de basculer dans une plaine désertique. Au loin, dans un horizon invisible de poussière, une oasis de vignes et de cultures abrite quelques villages ouïghours. La route trace une allée dans les arbres qui cachent des maisons de briques et de pisé. Derrière d'imposants portails colorés, quelques vignes verdoyantes se suspendent parfois à des patios secrets au charme subtil. Je retrouve les saveurs et la magie de l'Asie centrale. Ici et là, quelques minarets pointent le bout de leur nez. Assis à l'ombre devant leur maison ou au guidon de leur tuk-tuk, les Ouïghours sont les gardiens de ces villages délaissés. Des Ouïghours aux traits tirés et aux yeux sombres, qu'un sourire de bienveillance efface aussitôt. Il illumine alors la barbe des plus âgés, toujours coiffés d'une calotte traditionnelle aux motifs raffinés. Quelques mots de turc avec ce peuple oublié et chaleureux suffisent pour attirer les regards et sont autant d'occasions pour une invitation improvisée au thé.

Adossées aux vignes, les dunes de Piqan sont une porte d'entrée magistrale au désert du Taklamakan. Le « désert de la mort » : telle est la traduction littéraire du Taklamakan. Dans ces vastes étendus de sable s'étendant jusqu'au montagnes du Tibet, les températures oscillent de 50°C l'été à -30°C l'hiver. Après trois semaines de voyage, j'ai atteint mon but.

En Chine, le moindre site est « muséifié » pour permettre l'arrivée en masse du tourisme chinois : aussi, chaque monument, chaque site naturel est cloisonné et surmonté d'une gigantesque porte d'entrée et d'un parking surveillé par quelques militaires assoupis. Se succèdent alors les bus – par dizaines – desquels descendent des centaines de touristes chinois, suivant attentivement les drapeaux et les instructions données au micro par un guide exubérant. Plus loin, au détour d'un cimetière de pisé, je découvre un endroit plus secret pour admirer la splendide douceur du chant des dunes rougeoyant au coucher de soleil.

Turpan, nombril de la Chine

Située à 150 mètres en dessous du niveau de la mer et encerclée par les montagnes, la dépression de Turpan apparaît comme un trou sur une carte altimétrique. Turpan est en réalité une oasis située sur la frange nord du Taklamakan. Elle constitue une occasion pour reposer mes genoux douloureux.
Ici, les karez, ces canaux d'irrigation millénaire, quadrillent encore les façades timorées de la vielle ville. Car derrière les immeubles Han, le quartier ouïghour a conservé ses ruelles calmes et ombragées où se disséminent de temps à autre les frontispice d'une mosquée colorée.
Dans cette plaine aride, la vie s’est développée depuis le fond des âges. Dans la cité de Jiaohe, d'anciennes stupas rappellent le passé bouddhiste de la région. A quelques kilomètres, au creux d'une vallée multicolore, les grottes de Bezeklik dissimulent d'étonnantes fresques de Bouddha.
Turpan est au carrefour des influences. Autrefois l'un des nœuds de la route de la Soie, bastion successivement du Bouddhisme puis de l'Islam, elle est par dessus tout devenue l'un des plus beaux foyers de la culture ouïghoure.

Turpan paraît si loin des forêts de Sibérie et des montagnes de l'Altaï. Pourtant, un pont relie ces contrées contrastées, faites de vallées encaissées et multicolores, de steppes arides, de déserts gigantesques et de forêts sauvages. Cette nature si belle, hostile et désertique est aussi le berceau de civilisations lointaines et mystérieuses et la demeure de peuples fiers et singuliers, qu'ils soient Russes, Kazakhs ou Ouïghours. Tous cohabitent avec un passé aussi riche qu'insoupçonné, tissé par les échanges de ces anciens carrefours commerciaux. Tous insufflent de la vie dans l'étendu infini de ces déserts.

Il me reste près de 200 kilomètres pour rejoindre Urumqi. Sur la deux-fois-deux voies monotone, le vent redouble. La tempête secoue et renverse parfois les véhicules. Je monte dans une camionnette jusqu’à Urumqi, ville Han sans intérêt de près de trois millions d’habitants. Ville la plus éloignée de la mer, Urumqi se situe au cœur de l'Asie. Les gratte-ciels succèdent aux malls dans un amas de béton et de poussière. L'aéroport approche. Les ultimes contrôles de police s'éternisent. Au terme d'une journée de vol, je serai de retour en France.

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